Ralph Lauren, Fendi, Dolce & Gabbana, Louis Vuitton, Balenciaga et autres… depuis le début de l’année 2022, les marques de luxe communiquent à tout-va sur leur irruption dans le monde du métavers, cet espace parallèle virtuel à fort potentiel créatif. Et jettent ainsi leur dévolu sur ces univers complexes à appréhender que sont la blockchain, les NFT (certificats de propriété numérique sécurisés), les cryptomonnaies et autres produits virtuels.
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Et pour cause. D’après une étude de la banque Morgan Stanley, le métavers pourrait représenter 10% du marché du luxe en 2030, soit 50 milliards de dollars. Schématiquement, pour une marque de luxe, investir le Web3 peut consister à créer des vêtements, des accessoires de mode, des pièces de joaillerie et même des bouteilles de champagne (à l’exemple de la marque Dom Pérignon) à partir de produits déjà existants. Mais également à lancer des NFT par exemple liés à des œuvres d’art.
« Il ne s’agit pas de remplacer le réel, mais de proposer une version virtuelle d’un objet, unique et spécifique, à travers les réseaux sociaux et les jeux en ligne afin de se connecter avec une nouvelle génération de consommateurs avide de différenciation », décrypte Côme Prost-Boucle, fondateur de l’événement NFT Paris dont la prochaine édition se tiendra en mars 2023. Des exemples ? En septembre 2021, Dolce & Gabbana présentait ainsi sa Collezione Genesi, une série de neuf pièces haute couture NFT (trois vestes et un costume pour homme, deux robes, deux couronnes et un diadème) pour 1.885,719 ether (une cryptomonnaie), soit plus de 6 millions d’euros.
Dans la foulée, Gucci lançait SuperGucci, une collection de 250 NFT commercialisés en trois temps. Fin 2021, le géant américain du sportswear Ralph Lauren imaginait de son côté une collection numérique de vêtements dédiés aux sports d’hiver, inspirés de sa mythique ligne Polo Sport des années 1990. La collection pouvait être essayée par les avatars des utilisateurs et achetée dans les boutiques de la marque installées sur la plateforme de jeux vidéo Roblox. Cette opération originale était doublée d’une expérience numérique, The Ralph Lauren Winter Escape, permettant aux amoureux de la marque de s’aventurer dans les créations de Ralph Lauren dans le métavers.
Au même moment, la marque Louis Vuitton concevait un jeu virtuel afin de célébrer le bicentenaire de la naissance de son fondateur. Intitulée « Louis : The Game », l’expérience mettait en scène une héroïne, partie dans le métavers à la recherche de 200 bougies d’anniversaire sur fond de récit relatant l’histoire de la maison. Trente NFT, titres de propriété d’objets virtuels uniques, étaient par ailleurs dissimulés dans cet univers parallèle.
Pourquoi ces marques de luxe, que l’on disait frileuses par rapport à l’expérience numérique, se sont-elles lancées avec autant d’ardeur dans le Web3 ? « Il s’agit d’un mouvement paradoxal, car, par essence, le luxe et le digital sont diamétralement opposés. Le luxe est confidentiel, s’adresse à une clientèle élitiste et repose sur des notions clés telles que la rareté, l’unicité et l’exclusivité. A l’inverse, le Web est démocratique et s’adresse à tous », explique Stéphane Galienni, cofondateur et directeur associé de l’agence BLSTK qui accompagne de nombreuses maisons de luxe depuis plus de quinze ans. Avec le Web3, c’est encore autre chose.
« Les technologies offertes par ce nouveau Web décentralisé apparaissent parfaitement en phase avec les valeurs du luxe. Notamment avec la blockchain qui permet d’authentifier l’origine d’une matière première et de certifier le processus « manufacturier » d’un bien de luxe. Ceci représente un moyen radical de combattre la contrefaçon, note Stéphane Galienni. Par ailleurs, les NFT, sécurisés par la blockchain, offrent la possibilité aux marques de créer des « jumeaux numériques » de leurs produits à destination du métavers.
Résultat de cet engouement des maisons de luxe pour le Web3, dans le top 10 des marques ayant généré le plus de profits sur les ventes de NFT (rapport Dune, août 2022), on retrouve Dolce & Gabbana (25,6 millions de dollars) en deuxième position derrière Nike (185,3 millions de dollars), puis Tiffany & Co. (12,6 millions de dollars) et Gucci (11,6 millions de dollars) aux troisième et quatrième rangs, enfin la marque française Lacoste ferme le tableau (1,1 million de dollars).
« Pour ces maisons, ce nouveau lieu d’expression de leur identité de marque leur permet d’explorer en profondeur leur créativité, à l’aide d’expériences visuelles et créatives qui ne seraient pas réalisables physiquement. Elles investissent des nouveaux supports, des types de produits ainsi que de nouvelles cibles, jeunes et déjà captives sur ces écosystèmes », explique Raphaël Assouline, cofondateur de la start-up française RLTY qui développe une solution pour concevoir des évènements virtuels dans le métavers.
Selon Kathy O’Meny, experte digitale, enseignante à Sup de Luxe (Institut supérieur de marketing du luxe), la pandémie a également augmenté l’intérêt porté par les marques de luxe au digital : mise en place de plateformes virtuelles, création de fashion weeks et de collections accessibles en ligne, développement de pratiques et expériences digitales innovantes.
« Le métavers est arrivé à un moment où le monde du digital venait de gagner une vraie légitimité face à cette crise du Covid. Les modes de consommation ont accéléré leur mue et il n’y aura plus de retour en arrière. Les maisons de luxe ne peuvent pas se permettre de passer à côté des innombrables opportunités qu’offre le Web3 », analyse-t-elle. « De dernières de la classe au début d’Internet, elles sont devenues les meilleures élèves en entrant de plein fouet dans l’univers des NFT et du métavers », résume Sabine Temin, fondatrice de Luxurytail et d’Academy Luxurytail, un site de formation en ligne sur l’univers du luxe.
Selon les spécialistes, en raison de la capacité de l’industrie d’être à la fois virtuelle et physique, celle-ci figure, de manière logique, à l’avant-garde de l’évolution de cet univers. « Selon nos études récentes, environ 70% des consommateurs américains déclarent déjà que leur identité numérique est aussi importante que leur identité réelle. C’est pourquoi la mode est l’un des secteurs les mieux placés pour façonner le métavers », souligne Cyrielle Villepelet, directrice associée chez McKinsey.
Pour réussir leur percée dans le Web3, les marques de luxe vont toutefois devoir mieux appréhender les modes de fonctionnement de l’univers des gamers et des geeks et réinventer les expériences « retail ». Et ne pas se contenter de reproduire ses précédents modes de fonctionnement. « Elles vont devoir penser partenariats plutôt que ventes. A savoir s’inscrire dans une logique de cocréation avec les nouvelles générations plutôt que d’effectuer la vente d’un produit selon les habitudes traditionnelles. Les marques vont avoir à questionner et à impliquer les collaborateurs. Bref, à en faire de vrais ambassadeurs…», avertit Kathy O’Meny.
Si leur futur dans le métavers s’annonce prometteur, les marques doivent rester prudentes par rapport à certaines évolutions technologiques et opérationnelles. Parmi la centaine de mondes virtuels existant aujourd’hui, dont la plupart sont axés sur les jeux et les expériences sociales, il existe de fortes différences en matière de graphisme et d’immersion, notamment. « L’émergence de plateformes distinctes dans le métavers va poser le problème des relations entre les marques de luxe, du partage d’information entre elles. Ce qui pourrait amoindrir la performance attendue dudit métavers », estime Cyrielle Villepelet.
Par ailleurs, elles devront impérativement repenser leurs structures organisationnelles et leurs compétences existantes tout en mettant à jour leurs stratégies de recrutement. « Même si le futur n’est jamais écrit, les entreprises du luxe viennent de prouver, en investissant l’industrie du jeu vidéo et de la tech, qu’elles parviennent toujours à se réinventer grâce à la diversification de leurs activités et à l’extension de leurs territoires de conquête », analyse, pour conclure, Stéphane Galienni.
Le Printemps est l’un des leaders français du commerce dans les secteurs de la mode, du luxe, de la beauté et du «lifestyle». Il regroupe 3 000 collaborateurs, dispose de 20 magasins en France (dont 4 affiliés) et du site Printemps.com. Morgane Lopes, directrice du marketing digital de Printemps, répond à Capital.
Pourquoi ce premier magasin dans le métavers ?
Morgane Lopes : Nous souhaitons à nos clients des expériences innovantes et mémorables. Nous sommes le premier «retailer» à avoir investi le Web3 en lançant une expérience unique mêlant shopping immersif, NFT et magasin virtuel. Nous avons réalisé un tirage au sort parmi nos clients : 30 NFT contenant une oeuvre d’art digitale exclusive ont été gagnés, ainsi qu’une oeuvre originale «physique» de l’artiste Romain Froquet.
Comment avez-vous procédé ?
Morgane Lopes : Ouvert le 20 mars 2022, notre magasin virtuel propose une approche didactique, pédagogique et ludique du Web3. Notre challenge était de désacraliser et de déconstruire les mythes qui entourent cet univers. C’est pourquoi nous avons imaginé une expérience virtuelle intégrée à notre écosystème digital sur printemps.com, à savoir un magasin en 3D, accessible sur ordinateur et smartphone. Il ne s’agit pas de mode digitale. Nous proposons des produits physiques à acheter et à porter dans la vraie vie. Il ne s’agit pas non plus de cryptomonnaies mais de monnaies réelles (euros ou livres), afin de rendre l’opération tangible.
Quel est le bilan de cette expérimentation ?
Morgane Lopes : Très positif, car nous avons répondu à nos deux objectifs principaux : l’«omnicanalité» et l’innovation. 80% des clients qui ont acheté dans notre boutique virtuelle étaient des personnes qui privilégiaient les magasins physiques et qui n’avaient jamais acheté sur notre site marchand. Le panier moyen a été similaire à celui d’un magasin classique. Le profil de nos acheteurs ? Entre 25 et 45 ans, une clientèle plus jeune que dans la boutique «en dur». Les acheteurs, surtout des Français et des Britanniques – car la campagne ciblait ces deux pays –, s’intéressent aux nouvelles technologies et singulièrement au Web3. Notre opération a également permis de booster le trafic sur notre site d’ecommerce, avec une augmentation de la fréquentation de 20%.
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Administraroot